C’est l’organisation internationale la plus importante dont vous n’avez jamais entendu parler”, écrivait en 2020 Kristen Cordell, chercheuse au Center for Strategic International Studies, un institut de recherche international basé aux États-Unis.

Jeudi 29 septembre dernier, Doreen Bogden-Martin a été élue à la tête de l’ITU, l’Union Internationale des Télécommunications, la plus ancienne instance de l’ONU créée en 1865 à Paris, qui fixe les standards de télécommunications mondiales.

Celle qu’on surnomme « Doreen4SG » est la première femme à prendre la direction de cet organe stratégique depuis 157 ans (vous avez bien lu). Elle prendra le fauteuil au 1er janvier 2023 pour 4 ans de mandat.

Mais cette femme experte des telecoms est surtout américaine… Et en cela, c’est un changement important dans le contexte actuel. Car c’est la Chine qui pilotait depuis 2014 cet organe éminemment influent, par la voix de Houlin Zhao*. La Chine avait engagé un lobbying agressif pendant 10 ans pour en obtenir la gouvernance, le Financial Times évoque plus de 1000 représentants chinois pour influencer le futur de l’Internet sur cette période.

L’ITU: le plateau d’échecs et de jeu de GO pour le futur de l’Internet

Pour bien comprendre l’importance de l’ITU, rappelons simplement que l’Humanité doit à cette agence onusienne les règles du morse pour les télégraphes, mais aussi la standardisation des signaux de détresse, et aujourd’hui des normes de téléphonie de nouvelle génération, 5G et 6G.

C’est donc ici à Genève qu’on fixe les règles techniques des autoroutes de l’information: orbites satellitaires, normes mobiles, fréquences hertziennes… Chaque année, ce sont 150 normes qui sont revisitées pour les réseaux existants et les services de prochaine génération. Il est, pour résumer, un arbitre essentiel de l’Internet mondial: « Les décisions (de l’ITU nldr), une fois adoptées à l’unanimité des membres, deviennent du droit international qui doit être transposé dans les législations des 193 pays membres », indique Kristen Cordell.

Lors de ma visite en 2019, j’y ai croisé toutes les instances influentes qui forment le socle d’Internet : l’ICANN qui fixe les noms de domaines, mais aussi Internet Society, l’Association américaine pionnière dans la régulation d’Internet. Sans oublier le consortium 3GPP, à l’origine des normes 2G et 3G par exemple.

Dans un contexte d’affrontement technologique jamais vu jusqu’à maintenant, gouverner l’ITU ne devait pas se rater. Reste à savoir quels standards les Américains vont pousser, et quelles normes vont en découler. Et cela est aussi important que la bataille des semi-conducteurs, sans lesquels aucune industrie moderne (digitale) n’existerait.

Dans le jeu d’interdépendances auquel on assiste, et pas seulement entre Chinois et Américains, la guerre des normes ne fait que continuer, avec des blocs de plus en plus égalés en termes de puissance. C’est, pour l’heure, un jeu d’échecs contre un jeu de GO. Les USA ont gagné une manche jusqu’en 2027.

*J’ai rencontré Houlin Zhao en 2019 à Genève lors d’une remise de Prix pour la Fondation Sigfox